Il est bien impossible de trouver un adjectif ou même un superlatif qui puisse à lui seul donner un aperçu de mon expérience de l'Inde. Il en faudrait tout une liste et je pourrais même m'amuser à les regrouper par suffixes :
magique, fantastique, dynamique ; viscérale, paradoxale, brutale ...
Si beaucoup de touristes font cette expérience viscérale de l'Inde au moyen de mésaventures intestinales, heureusement cela n'a pas été mon cas ! C'était pourtant une de mes appréhensions, ayant depuis l'enfance à subir les caprices de mon petit ventre. J'ai plutôt utilisé cet adjectif parce que pour moi, l'Inde m'a pris aux tripes. J'ai ouvert grand mes yeux, mes narines et mes papilles, pour m'imprégner de toutes les couleurs et saveurs possibles ; j'ai ouvert grand mes oreilles pour imprimer dans mon esprit chaque conseil donné par mes magnifiques professeurs. Et je me suis laissée couler, j'ai laissé ruisseler hors de moi ce qui ne me servait plus dans ma vie présente, j'ai lâché prise. Enfin.
On raconte souvent comment certains voyageurs occidentaux développent une sorte de syndrome de l'Inde, pour caricaturer, un énorme pétage de plomb devant la perte des repères. Alors oui, c'est certain, les différences avec notre quotidien en France sont abyssales. J'ai eu une expérience limitée des villes, n'ayant vu que Mysore et Cochin. Il est clair pour moi que je ne pourrais pas supporter Mumbai ou Delhi. Dans les villes indiennes, la circulation est très dense, avec son cortège de bruit, de pollution et de poussière, auquel se mêlent les vaches, les chiens, les poules et autres animaux en liberté, les flaques de boue et les monticules d'ordures. Le mouvement est incessant et donne le tournis. Ajoutez la chaleur et l'humidité à ce tableau.
Depuis que je suis rentrée en France, je peux marcher sur des trottoirs lisses et droits en rêvassant sans risquer une chute ou une collision ; je peux être dans la ville sans sentir la pollution s'infiltrer par tous mes pores et sans que le bruit assourdissant vienne marteler mes oreilles ; je peux jeter un papier dans une poubelle mise à ma disposition. Mais je ne peux plus m'émerveiller devant les étals des marchés avec leurs mille légumes et leurs fleurs aux couleurs éclatantes, je ne peux plus sentir l'odeur du jasmin et de l'encens chatouiller mes narines, je ne peux plus contempler les saris chatoyants et les cheveux brillants des femmes, je ne peux plus me régaler de dosas et de bananes succulentes tous les jours ...
Il y a des choses tellement évidentes ici qui là-bas n'existent tout simplement pas: nos repères sont bousculés, et il n'y pas d'autre choix que de s'adapter à ce nouvel environnement. Il faut alors se laisser aller, se laisser porter par le flot, sans chercher à établir des comparaisons avec notre propre vie quotidienne.
Si l'Inde exerce sa puissance magnétique sur vous, comme elle le fait pour moi, vous avez peut-être déjà vécu cette expérience. Il vous est aussi certainement arrivé cette chose incroyable : au milieu ce joyeux bazar permanent, on se trouve étrangement calme. L'esprit, par habitude, se met à anticiper parce que les possibilités de vivre une situation périlleuse sont bien réelles. Je me souviens m'être dit : " ça arrivera si ça doit arriver, vivons l'instant présent". Je suis chanceuse, je n'ai eu que de bonnes expériences, je sais que ce n'est pas forcément le cas pour tous les voyageurs.
L'une de mes plus grandes joies indiennes a été la contemplation de la nature abondante et verdoyante. J'ai passé beaucoup de temps à l'extérieur des villes, parce que leur agitation est bien trop brutale pour moi. Je me suis offert beaucoup de moments de douceur et de calme, de nombreuses marches dans des paysages magnifiques : si bien que les vers de Baudelaire ont resurgi de ma mémoire, " Ici tout n'est qu'ordre et beauté / Luxe, calme et volupté." Je réalise maintenant, avec le recul, que si à ce moment ils sont remontés à la surface de mon esprit parce qu'ils s'appliquaient à mon environnement extérieur, aujourd'hui ils raisonnent avec mon ressenti intérieur. Dans cette accumulation de noms, tous ont un sens particulier pour moi, en quelque sorte un sens nouveau à la lumière de ces deux derniers mois. C'est le pouvoir des mots : si les lettres restent les mêmes, tout comme la définition du dictionnaire, leur sens véritable évolue à mesure que nous cheminons dans notre vie.
Ces magnifiques spectacles qu'offre la nature de l'Inde, désormais imprimés dans ma rétine, me rappellent notre nom de code à Paris : " Walking Universe". Ils me rappellent que nous sommes cette nature, que nous sommes liés à elle par tous nos sens, dans le moindre recoin de notre corps, et qu'elle nous offre aussi la possibilité d'être plus fort(e)s. Il y a eu des jours pendant ce voyage où je ne me suis pas sentie forte, où certaines émotions sont revenues taper du poing sur la porte, où j'ai pleuré. J'ai réalisé que certains comportements que j'avais avec moi-même étaient ancrés très profondément, et qu'il était temps de lâcher l'affaire une bonne fois pour toutes. Que l'emprise négative de personnes du passé ou de sentiments ressentis par le passé appartenait justement au passé et qu'elle ne devait plus m'atteindre ici et maintenant, alors que je vivais une des plus belles expériences de ma vie. Ce voyage m'a permis de cheminer vers la bienveillance envers moi-même encore un peu plus loin, mais j'ai le sentiment je serai toujours de ces personnes trop dures avec elles-mêmes. Malgré tout, j'avance, et tous ces kilomètres parcourus associés à une petite sortie de route de ma zone de confort m'auront fait avancer un peu plus vite.
Alors merci l'Inde, merci à tous ceux qui ont partagé mon chemin ces derniers mois, merci aux belles rencontres, merci à mes professeurs, merci à mes copines yoginis #walkinguniverse. Et pour la première fois de ma vie, j'ai aussi envie de me dire merci.
OM
Camille